Post-diplôme recherche 2020

Ralentir pour mieux concevoir : une exploration du design à l’épreuve du temps et de l’eau
Cette recherche s’inscrit dans une réflexion critique sur le rôle du design dans un contexte de dérèglement climatique et d’accélération systémique. Elle part du constat d’un paradoxe profond : les designers sont appelés à promouvoir des modes de consommation plus responsables, mais leurs propres pratiques restent soumises à des impératifs de rapidité et de productivité, dictés par les logiques du capitalisme néo-libéral. Cette tension structurelle interroge les conditions mêmes de la transformation que le design prétend accompagner.
S’appuyant sur les travaux de Hartmut Rosa, notamment Aliénation et Accélération¹, la recherche analyse comment la modernité tardive impose une triple accélération – technique, sociale, et existentielle – qui fragilise notre rapport au monde. Il devient alors crucial de reconsidérer les temporalités du design, non plus comme un simple paramètre de production, mais comme une condition politique et culturelle de son ancrage.
L’eau devient ici à la fois matière et métaphore. Ressource vitale, enjeu écologique majeur, mais aussi révélateur des décalages entre conditions climatiques locales et pratiques standardisées de consommation. Ce choix s’appuie sur une expérience personnelle de mobilité dans plusieurs villes européennes aux régimes climatiques contrastés, mettant en lumière l’uniformité troublante des usages de l’eau malgré des réalités environnementales très différentes.
À travers des projets tels que Infiltration, un filtre à eau en céramique microporeuse inspiré du roman Manon des Sources², ou encore Kaïros, une installation explorant le rapport subjectif au temps par le mouvement de l’eau, cette recherche interroge les cosmotechniques de la ressource – c’est-à-dire les manières dont les techniques s’inscrivent dans des visions du monde particulières³. Ces projets fonctionnent comme des dispositifs critiques : ils déplacent les attentes fonctionnelles, réintroduisent l’attente, l’attention, et rendent visibles les régimes temporels invisibilisés par le design dominant.
Ce travail s’inscrit dans un mouvement plus large de redéfinition du design à travers les sciences sociales, l’anthropologie, et les épistémologies du Sud⁴. Il propose d’explorer un design ontologique, qui interroge notre manière d’être au monde, nos interdépendances et notre rapport au vivant. Ce changement de perspective implique aussi de revaloriser les cadres sociaux qui permettent de ralentir, de produire avec soin, et de construire des formes de solidarité durables – dans l’esprit du Buen Vivir⁵.
Notes de bas de page :
- Rosa, Hartmut. Aliénation et Accélération : vers une théorie critique de la modernité tardive. La Découverte, 2012.
- Pagnol, Marcel. Manon des Sources. 1962.
- Hui, Yuk. The Question Concerning Technology in China: An Essay in Cosmotechnics. Urbanomic, 2016.
- Escobar, Arturo. Designs for the Pluriverse: Radical Interdependence, Autonomy, and the Making of Worlds. Duke University Press, 2018.
- Concept issu des philosophies autochtones d’Amérique latine, valorisant une vie en harmonie avec les autres et la nature, souvent mobilisé dans les débats sur les alternatives au développement.